CHAINE DE VALEUR LAITIERE EN AFRIQUE : Entre potentiel inexploité et dépendance importée

Malgré des ressources animales considérables et une demande en forte croissance, l’Afrique peine encore à transformer son potentiel laitier en véritable levier de développement économique. Entre faibles rendements, dépendance accrue aux importations et stratégies nationales encore inégales, la chaîne de valeur du lait illustre à elle seule les défis d’un secteur agricole à la croisée des enjeux alimentaires, sociaux et industriels.

Extraction du Liat Légende : Extraction du Liat

D’après le Baromètre des agricultures africaines de la Fondation FARM, Organisation panafricaine des agriculteurs et Afdi, le continent africain détient environ 20 % du cheptel bovin mondial, mais ne contribue qu’à hauteur de 5 % à la production de lait de la planète. Cette sous-performance s’explique par des rendements particulièrement faibles, souvent inférieurs à 5 litres par vache et par jour dans les systèmes extensifs, contre plus de 20 litres pour des races améliorées importées. En Éthiopie, premier pays africain en nombre de bovins avec plus de 70 millions de têtes, la productivité moyenne ne dépasse pas 1,5 litre par jour selon le Baromètre des agricultures africaines. Ces chiffres révèlent une filière dominée par des pratiques d’élevage traditionnelles, peu mécanisées, et des chaînes de collecte encore mal structurées.

Face à une demande interne tirée par la croissance démographique, l’urbanisation et la diversification des habitudes alimentaires, la dépendance aux importations s’est accentuée. En 2023, l’Afrique a importé pour 7,5 milliards de dollars de produits laitiers, principalement sous forme de poudres de lait traditionnelles, enrichies ou infantiles. Ces produits représentent plus des trois quarts des volumes importés. Les principaux marchés cités par le Baromètre des agricultures africaines sont l’Algérie, l’Égypte, le Nigeria, la Libye, le Maroc et le Sénégal. Ceux ci concentrent ensemble plus de la moitié de la valeur totale des importations. Toutefois, la Nouvelle-Zélande demeure le premier fournisseur du continent, suivie des Pays-Bas, de la France, de l’Irlande et de l’Allemagne. Cette dépendance structurelle met en lumière la faible intégration locale de la chaîne de valeur, où la transformation et la distribution restent encore majoritairement contrôlées par des acteurs étrangers.

L’Afrique de l’Est émerge cependant comme la locomotive du secteur laitier africain. En 2023, la région a produit 25,4 millions de tonnes de lait, soit près de 48 % du total continental, avec une croissance de 26 % sur la dernière décennie. Des pays comme le Kenya, l’Éthiopie, le Soudan et la Tanzanie jouent un rôle central dans cette dynamique, soutenus par de meilleurs réseaux de collecte et par des investissements dans la transformation. L’Ouganda, de son côté, s’impose progressivement comme un exportateur net de lait en poudre, notamment vers l’Algérie, pour un contrat d’une valeur estimée à 500 millions de dollars. Cette évolution prouve que des modèles hybrides, associant éleveurs familiaux et acteurs industriels, peuvent offrir des perspectives de durabilité et d’autonomie régionale.

Les politiques publiques, quant à elles, restent contrastées. L’Algérie a opté pour une approche très interventionniste, en subventionnant les éleveurs, en régulant le prix du lait et en soutenant la création de fermes dans les zones arides. Le Kenya, à travers sa « Dairy Industry Sustainability Roadmap 2023-2032 », privilégie une stratégie axée sur la modernisation des infrastructures, la certification qualité et les partenariats public-privé. Le Nigeria, en ce qui le concerne, mise sur l’amélioration génétique de ses troupeaux grâce à un partenariat entre Arla Foods et VikingGenetics, introduisant des semences issues de races nordiques capables de produire jusqu’à 40 litres par jour, soit vingt fois plus que les races locales. Ces exemples témoignent d’une prise de conscience continentale, mais les efforts demeurent fragmentés et insuffisants face à la rapidité de la croissance démographique et urbaine.

Pour que le continent atteigne une forme de souveraineté laitière, il est essentiel d’adopter une approche intégrée, liant production, transformation et distribution locale, propose le Baromètre des agricultures africaines. Cela passe par une amélioration de la génétique animale, un meilleur accès à la nutrition du bétail, la modernisation des infrastructures rurales et la structuration de chaînes logistiques performantes, notamment en matière de réfrigération et de transport. Le renforcement des coopératives locales, la valorisation du rôle des femmes dans la filière et l’incitation à l’investissement privé dans la transformation constituent également des leviers majeurs.


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