L’hydrogène vert s’impose en Afrique, porté par la demande européenne. Pourtant, le continent doit développer son propre marché et diversifier ses débouchés afin d’éviter une dépendance trop forte à l’étranger, et garantir la pérennité de la filière.
Depuis que l’Union européenne a inscrit l’hydrogène vert au cœur de sa stratégie énergétique, le continent africain s’est vu propulsé en première ligne comme fournisseur potentiel. La Commission européenne a d'abord défini des objectifs ambitieux en 2021 pour décarboner l’industrie et réduire sa dépendance au gaz russe après la crise énergétique de 2022. Parmi les solutions envisagées, l’hydrogène vert, produit à partir de sources renouvelables comme le soleil ou le vent, est devenu un vecteur clé de cette transition énergétique.
L’Europe, à travers son initiative REPowerEU lancée en 2022, a fixé l'objectif de produire 10 millions de tonnes d’hydrogène vert et d’en importer autant d’ici 2030. Un objectif qui a naturellement conduit l’Europe à se tourner vers des régions capables de produire ce carburant à bas coût, comme l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. Un exemple concret de ce partenariat est l’initiative Team Europe, lancée en octobre 2023, qui vise à développer l’hydrogène vert en Mauritanie.
Ainsi, la majorité des projets d’hydrogène vert en Afrique ont été impulsés par des stratégies européennes, avec de nombreux investissements et financements venus d’acteurs européens comme BP, TotalEnergies ou encore Fortescue Future Industries. Toutefois, un aspect fondamental mérite d’être souligné : ces projets se développent essentiellement pour répondre à une demande extérieure, principalement européenne. Si cette demande venait à se réduire, l’avenir de la filière en Afrique pourrait être compromis.
Un marché intérieur encore embryonnaire
L’une des raisons majeures de cette dépendance est l’absence de demande intérieure significative pour l’hydrogène vert en Afrique. D’après les prévisions du Hydrogen Council, la demande sur le continent africain pour ce carburant devrait atteindre environ 8 millions de tonnes d’ici 2050, soit un faible pourcentage par rapport à la demande mondiale estimée entre 125 et 585 millions de tonnes. Ce déficit s’explique en partie par un manque d’infrastructures locales, rendant difficile la consommation d’hydrogène au niveau domestique. De plus, environ 600 millions d’Africains vivent sans accès à l’électricité, ce qui incite les pays à privilégier l’investissement dans des sources d’énergie renouvelable directement destinées à la consommation locale, comme les centrales solaires et éoliennes.
En outre, les secteurs industriels nécessitant de l’hydrogène, comme la chimie ou la métallurgie, sont moins développés en Afrique par rapport à d’autres régions, notamment l’Europe. Cela diminue encore la demande intérieure pour ce carburant, qui reste limité à quelques pays où l’industrie commence à se structurer.
Un risque de dépendance à l’Europe
Ce modèle, fondé sur les besoins européens, expose l’Afrique à de nombreux risques. Si l’Europe venait à réduire ses importations d’hydrogène, notamment grâce à une hausse de sa production interne d’énergie renouvelable (notamment via l’éolien offshore), les producteurs africains risqueraient de se retrouver sans débouchés. Le coût de transport de l’hydrogène vert, qui doit être liquéfié ou transformé en ammoniac pour l'exportation, représente également un frein supplémentaire à la compétitivité des producteurs africains face à d’autres régions du monde.
En outre, si l’Europe décidait de privilégier d’autres technologies ou sources d’énergie, comme l’électrification directe, la demande pour l’hydrogène vert pourrait diminuer, laissant l’Afrique avec des infrastructures dédiées à un marché plus restreint.
L’Afrique doit penser son hydrogène vert autrement
Face à ces enjeux, il devient crucial que l’Afrique réinvente sa stratégie en matière d’hydrogène vert. Si le potentiel pour produire de l’hydrogène à faible coût est indéniable, le continent doit éviter de développer cette filière uniquement en fonction des besoins extérieurs, notamment européens. Pour garantir la pérennité de l’industrie, il est essentiel que les pays africains créent un marché local pour l’industrie, les transports et l’électrification. Cela pourrait permettre de diversifier les débouchés et de limiter la dépendance à un seul marché acheteur.
L’Afrique doit également envisager des partenariats avec d’autres régions, comme l’Asie, qui pourrait devenir un marché d’exportation clé. En développant un cadre énergétique plus autonome, le continent pourrait non seulement sécuriser son avenir en matière d’hydrogène, mais aussi transformer cette filière en un levier de croissance durable et de développement économique.
En définitive, l’Afrique a tout à gagner en réinventant sa vision de l’hydrogène vert. Pour être véritablement gagnante, elle doit se détourner de la simple réponse aux besoins européens et faire de l’hydrogène un atout stratégique pour son propre développement.